Jeux traditionnels de l’Asie de l’Est et du Japon
Koichi
Masukawa
L’Asie
de l’Est, qui est le berceau de grandes civilisations, est, en ce qui concerne
les jeux, un véritable « coffre aux trésors ». La Chine en
particulier, a inventé, au cours de sa longue histoire, des jeux qui font partie
des plus importantes créations de l’homme dans ce domaine.
Dans
l’ancienne encyclopédie chinoise Tai-ping yu-lan de 948, on peut lire les
descriptions de différents jeux de l’époque, mais malheureusement certaines
explications restent incompréhensibles à ce jour. Alors que certains jeux ont
été oubliés par manque d’intérêt, d’autres ont été inventés.
On
peut classer les jeux de l’Asie de l’Est en trois grandes catégories. La
première compte les créations typiques de la région, comme les jeux de plateau
Liu-Bo, Weiqi(Go), Da-Ma-Tu (un jeu
de courses avec 20 pièces par joueur et 3 dés), Fang, le jeu de cartes chinois
Ma-Dia-Pai (Mah-jong), le jeu de l’oie chinois Shing-kun-to, le domino chinois Pai-jiu et certains jeux de dés
chinois. La deuxième catégorie recense les jeux originaires de l’Ouest, qui
sont arrivés en Asie de l’Est par la route de la soie, comme le Shuang-liu (backgammon), les échecs
chinois Xiangqi, le polo et
l’acrobatie. Quant à la dernière catégorie, elle regroupe les jeux en provenance
du sud, arrivés dans la région par la route de la soie ou par voie maritime,
comme le shogi, jeu d’échecs
japonais, les cartes à jouer européennes, ainsi que les différentes variantes
du jeu de Mancala en Asie du Sud-Est.
Nombre
des jeux coréens et japonais sont des jeux d'origine chinoise ayant été adaptés
à leurs destinataires, tels les échecs coréens. La Corée et le Japon ont
toujours développé leurs propres jeux, comme le jeu coréen Nyout et les jeux japonais Kai-Awase,
Sugoroku, variante japonaise du jeu
de l'oie, le Jeu des cent poètes et
certains jeux de dés.
LE GO
Il y
a plus de 3000 ans, l'une des grandes civilisations du monde est née entre le
Yang Tse et le fleuve Jaune (Huang He). Aujourd'hui encore, les nombreux
monuments qu'elle a érigés éveillent curiosité et admiration. Le jeu aussi prit
en Chine une grande importance dans la vie quotidienne et, comme ils continuent
à le faire aujourd'hui encore, les Chinois développèrent de nombreux jeux. Le Weiqi notamment, plus connu en Europe
sous le nom de Go, est un jeu de plateau d'origine chinoise. Sur un plateau
quadrillé, deux joueurs placent, à tour de rôle un de leurs pions (noirs ou
blancs), de façon à enfermer le plus grand territoire possible. Les origines
exactes de ce jeu sont inconnues, mais il ne fait aucun doute qu'il a été
inventé en Chine. Le Go n'est certainement pas aussi ancien que l'antique jeu
de plateau chinois Liu-bo, mais,
comme le laissent présupposer les nombreuses mentions du jeu dans la
littérature de l'époque, il devait déjà être très populaire sous la dynastie
des Han Orientaux (25-220 après J.-C.). Le plus ancien plateau de Go retrouvé
dans son entier a été découvert dans une tombe à Wangdu, dans la province du
Hebei (dans l'est de la Chine). Selon les archéologues, le jeu date du IIIe
siècle. Le plateau de pierre ne compte
que 17 × 17 lignes et non 19 × 19 comme les plateaux actuels, ce qui laisse
penser qu'à l'origine le plateau était encore plus petit.
Au IVe siècle, le jeu s'était déjà étendu jusqu'à la Corée. Puis,
durant le VIe siècle, la pratique du Go continua de se répandre vers
l'Ouest, jusqu'à atteindre l'actuelle région ouïgoure du Xinjiang. La plus
ancienne représentation d'un jeu de Go est une peinture sur soie provenant de
la tombe n° 187 d'Astana à Turfan, datant de la dynastie Tang, c'est-à-dire du
VIIe siècle. La peinture représente une dame jouant au Go, assise
sur un banc. Il est probable qu'autrefois les gens dessinaient simplement le
plateau de jeu sur le sol. Sous la dynastie Tang (618-907 après J.-C.), le Go
faisait partie des quatre arts du lettré, au même titre que la calligraphie, la
peinture et la musique. Il devint ainsi le jeu de plateau le plus estimé de
Chine et donna naissance à une littérature très variée, de même qu'à beaucoup
de représentations artistiques. Aujourd'hui encore, on joue au Go dans toute la
Chine.
![]() |
Importé directement de Chine ou de Corée, le jeu de Go atteignit le Japon à la fin du VIIe siècle. On a découvert en effet des pions de jeu de Go dans les ruines de Fujiwarakyo, ville impériale de 694 à 710 après J.-C. Il en est par ailleurs fait mention dans une loi datant de 701, la loi « Daiho Ritsu-Ryo », qui interdisait le Go aux moines et aux nonnes, pour les empêcher de se détourner de leur apprentissage du bouddhisme. C'est dans le Shosoin, temple abritant le trésor national à Nara, que sont conservés les plus anciens et les plus beaux jeux de Go du Japon. Parmi eux se trouve un jeu sur lequel l'empereur Shômu (727-749 après J.-C.) a joué, avec un plateau déjà pourvu de 19 × 19 lignes. La boite contenant les pions porte une inscription révélant que le roi coréen Giji (décédé en 660) avait offert ces pions à un employé du gouvernement japonais. Sur le beau plateau en bois de rose incrusté d'ivoire, 17 points, les seimoku, sont mis en évidence, comme c'est généralement le cas sur les plateaux de Go coréens. Sur les autres plateaux de Go du Shosoin, seuls 9 seimoku sont marqués, comme cela se faisait et continue de se faire en Chine. Le plateau de jeu de l'empereur Shômu ressemble à un plateau miniature du VIIe siècle, découvert dans la tombe nº 206 d'Astana (Turfan). Toutefois, tous les jeux de Go se trouvant dans le temple de Shosoin ne sont pas d'une aussi bonne qualité, car généralement les gens utilisaient un matériel de jeu bien plus modeste. |
Au
Japon, le Go s’était particulièrement répandu chez les nobles, ainsi que dans
les milieux religieux et intellectuels en raison de la place qu’il tenait dans
la culture chinoise, à savoir parmi les quatre arts du lettré. Dans les
journaux intimes de nobles ou d’évêques, de nombreux passages traitaient du jeu
de Go. C’est au XVe siècle qu’apparurent les premiers joueurs de Go
professionnels et que la formation des élèves par des maitres de Go devint
partie intégrante de l’enseignement, ce qui fut favorable à l’extension du jeu.
Plus
tard, le Go gagna toutes les classes de la société. Le shogounat des Tokugawa
(1603-1868) protégeait et soutenait les familles des maîtres de Go ; la
technique du jeu se développa alors jusqu'au plus haut niveau de maîtrise.
Lorsque la révolution des Meiji mit fin au régime Tokugawa, puis au système
féodal, les familles du Go perdirent leur statut officiel. Le Go continua
néanmoins d'être apprécié dans tout le pays. La première fédération de Go
japonaise, la Nihon Ki-in, fut fondée
après la Première Guerre mondiale ; elle compte parmi ses membres quelques
joueurs professionnels chinois et coréens.
Pendant longtemps, le jeu de Go resta inconnu en Europe. Les personnes ayant
voyagé en Chine ne le mentionnaient que rarement et quand elles le faisaient,
ce n'était que superficiellement. Même Marco Polo ne l'évoqua pas dans ses
fameux récits de voyage. A partir du XVIe siècle, les milieux nobles et
fortunés d'Europe développèrent un intérêt pour la porcelaine chinoise ;
parfois, le jeu de Go se trouvait représenté, avec d'autres arts chinois, sur
certaines de ces pièces. Toutefois, cela ne suffit pas à éveiller la curiosité
des Européens qui ne cherchèrent ni à en savoir plus sur ce jeu, ni à apprendre
à y jouer. A la fin du XVIe siècle, des missionnaires chrétiens arrivèrent au
Japon et établirent un dictionnaire japonais-portugais en 1602, dans
l'intention d'aider la mission chrétienne. Le recueil contenait les termes « Go
», « jeu Go», «Shogi » et « plateau de Shogi ». Les échanges commerciaux avec
les Pays-Bas durant le XVIIe siècle ouvrirent de nouvelles voies vers l'Europe.
Quelques représentants des sociétés commerciales hollandaises
s'intéressèrent au système social du Japon et à sa culture. Ainsi, le médecin
Engelbert Kaempfer, qui vécut au Japon de 1690 à 1692, rédigea, une fois rentré
au pays, un livre intitulé Geschichte und Beschreibung von Japan
(traduit en français en 1729 sous le titre Histoire
naturelle, civile, et ecclésiastique de l'Empire du Japon), dont l'original
fut publié vers 1727. Selon Kaempfer, le Go est plus difficile que les échecs.
D'autres personnes ayant visité le Japon, comme Philip Franz Balthasar von
Siebold (au Japon de 1823 à 1829 et de 1858 à 1862), le consul suisse Rudolf
Lindau (au Japon de 1864 à 1866) ou le spécialiste du Japon Basil Hall
Chamberlain (au Japon de 1873 à 1911) ne montrèrent que peu d'intérêt pour le
jeu.
Après la restauration Meiji en 1868, le nouveau gouvernement fit appel à de
nombreux enseignants européens, afin qu'ils participent au développement
scientifique du pays. L'Allemand Oskar Korschelt (au Japon de 1876 à 1879),
ingénieur et professeur de chimie et de mathématique, apprit à jouer au Go et
devint même un assez bon joueur. De retour au pays, il rédigea une série
d'articles décrivant le jeu, qui furent publiés entre août 1880 et juillet 1881
dans la revue Mittheilungen der Deutschen Gesellschaft für Natur- und
Völkerkunde Ostasiens (Bulletin d'information de la Société
allemande pour les sciences naturelles et l'ethnologie d'Asie de l'Est). Ses
écrits furent les premiers à offrir une description complète du Go aux
Occidentaux. Peu après, en 1895, Stewart Culin publia Korean Games with notes on the corresponding games of China and Japan.
Ce n'est qu'au début du XXe siècle que parut l'ouvrage The
Game of Go (1908) d'Arthur Smith. C'est ainsi que les portes du Go
s'ouvrirent aux Européens et aux Américains. Dès lors, l'intérêt pour ce jeu ne
cessa d'augmenter, au point que, dans son livre de 1931, Brettspiele
der Völker (Jeux de plateau des peuples), le champion du monde
d'échecs Emanuel Lasker consacra plus de pages au Go qu'aux échecs.
Aujourd'hui, des joueurs de Go européens participent régulièrement à des
championnats internationaux, même en Asie.
Article paru dans Jeux de l’humanité, 5000 ans d’histoire culturelle des jeux de société, édité par Ulrich Schädler Editions Slatkine, Genève 2007
Dernière mise à jour le 14/10/2025