Le jeu de go tisse sa toile à Paris

Le Monde. Mis à jour le 29.03.2013 à 17h10 Par Emmanuel Versace

 

Jean-Yves PapazoglouJérémie Rocher et 644 autres personnes recommandent ceci.

EGC2009

Mano a mano lors du tournoi de EGC 2009 à Groningen. JUDITH VAN DAM POUR EUROGOTV

Un damier, des pions blancs, des noirs et des combinaisons infinies. Ce ne sont ni les dames ni les échecs. Né bien avant l'ère chrétienne dans l'Empire du milieu, ce jeu est le plus ancien des jeux de l'esprit, catégorie stratégie combinatoire. Ici pas de diagonales de fou, ni de rois à embastiller. Tous les pions, appelés des pierres, sont égaux sur le goban, un damier de 19 cases par 19. Les pierres se déposent aux intersections des lignes et tout au long de la partie, celles-ci n'ont pas le droit d'être déplacées, à part si l'une d'entre elles est capturée. Bienvenue dans l'univers du jeu de go.

Contrairement aux échecs, le go est un jeu territorial où le but n'est pas forcément de "tuer" l'adversaire. L'objectif est plus stratégique. Il faut contrôler le plus d'espace sur le goban, coincer l'adversaire et à la fin compter les points. L'imagination fait le reste. Certains y voient une guerre sans merci entre deux armées, pour d'autres c'est une spirale de combinaisons mathématiques infinies, comme dans le film Pi, thriller psychologique primé au festival de Sundance en 1998, réalisé par l'Américain Darren Aronofsky (Requiem for a dream, The Wrestler, Black Swan).

 
MAÎTRE LIM LE PRÉCURSEUR

Sport marginal en France, le go compte 60 millions de joueurs sur la planète dont plus d'un tiers se trouve dans sa mère-patrie, la Chine, devant le Japon et la Corée du Sud. Sous l'influence du Sud-Coréen Lim Yoo-jong, dit maître Lim, la France se met au go moderne à partir de 1969, une période où l'esthétisme asiatique fascine. Avec sa fine barbe de sage, maître Lim devient l'incarnation du jeu, et initie le noyau dur des premiers champions tricolores, dont Frédéric Donzet.

Vainqueur à deux reprises du tournoi de Paris au début des années 1980, Donzet joue pour la première fois au go à 12 ans et demi. "Mon père avait ramené un jeu d'une exposition sur le Japon. Il s'est vite passionné et m'a appris les bases." Très vite, le garçon se plonge dans l'univers quadrillé du jeu avant de percer grâce à maître Lim. "C'était le premier joueur fort venu en France. Il était content d'enseigner à un gamin alors qu'il apprenait plutôt à des étudiants en maths, en physique ou à des profs, des gens avec une certaine arrogance intellectuelle. Au-delà des conseils tactiques, il avait aussi toute une analyse sur nos comportements. A ce titre, il était très rigoureux et très discipliné. C'était un furieux de la philospophie chinoise. Dans le go, il voyait un moyen de bien réfléchir et il fallait nous débarrasser de tout ce qui pouvait nous empêcher de le faire."

Respectant l'esprit d'humilité inculqué par son maître sud-coréen, Frédéric Donzet ne partage pas la vision d'un jeu de go mystique, à la limite de l'ésotérie, lui préférant celle d'un jeu "souple et universel très riche en image et en scénario". "J'ai bientôt la cinquantaine donc j'ai une idée évolutive du jeu. Le go m'a apporté des choses différentes. Au début j'étais très combatif. Je voulais tuer mes adversaires et gagner comme ça. Après, j'ai changé d'état d'esprit à l'adolescence. Là, j'étais plus conquérant. Ensuite, j'étais plus dans la finition, dans l'esthétique."

Etudiant à l'Ecole nationale supérieure Louis-Lumière, Frédéric Donzet réalise en 1989 un court métrage sur le principe du jeu qui servira de référence à de nombreux jeunes joueurs.

Aujourd'hui, professeur multimédia à l'IESA Multimédia, il utilise toujours l'image pour les besoins de la Fédération française de go, qui organise la 41e édition du tournoi de Paris au lycée Louis-le-Grand (5e arrondissement). Près de 250 joueurs d'une vingtaine de pays y sont attendus. Cette année encore, les Chinois, qui dominent largement ce sport, seront les grands favoris avec les Européens de l'Est.

Mais c'est sans compter sur Fan Hui. Originaire de Xi'an, la ville de l'armée des soldats en terre cuite, Fan Hui s'installe en France en 2000, année de sa première victoire dans le tournoi de Paris, un titre qu'il conserve jusqu'en 2005 inclus. Naturalisé français en 2012, l'homme est aujourd'hui le principal espoir national en l'absence de Thomas Debarre, autre champion tricolore parvenu à se mêler aux meilleurs.

Accro au goban depuis l'âge de 6 ans, joueur professionnel depuis l'âge de 16, Fan Hui est aujourd'hui sous contrat avec la Fédération française de go, en tant que professeur. "C'est n'est pas seulement un jeu mais un métier en Chine," explique-t-il. "Pour ce tournoi, j'ai passé de nombreuses heures à m'entraîner dans une école chinoise. A notre niveau, tous les joueurs sont bons techniquement mais dans un tournoi de go, les côtés mental, émotionnel et psychologique comptent pour beaucoup. Il y a tellement de combinaisons possibles que celui qui aura utilisé le mieux sa disponibilité mentale remportera la partie. Le go n'est pas une simple bataille mais une guerre entière."

Emmanuel Versace

Vos réactions

Ahmed Triqui il y a 2 jours

Le jeu ancestral de la Chine est le weiqi, le jeu de go ; il n'y a pas de batailles décisives comme en Échecs ; le go privilégie une campagne prolongée, un avantage relatif sans centre de gravité et l'art de l'encerclement stratégique prenant position sur des cases "vides" bloquant peu à peu le potentiel de l'adversaire. Les échecs sont une école d'acharnement, le go de souplesse stratégique. Henry Kissinger en fait le fondement de la pensée chinoise avec Sun Tzu. (De la Chine, Fayard 2012)

Françoise BARRET il y a 2 jours

Certains disent que si les asiatiques sont si efficaces dans le commerce international, c'est parce que les principes du jeu de go sont plus subtils que ceux du jeu d'échec occidental. On ne tue pas frontalement, on étouffe progressivement…

Annabel Vezien il y a 3 jours

La revue Chimères a publié un entretien éclairant avec Frédéric Donzet que l'on trouve sur internet : "L’univers et les stratégies du jeu de go".

Charles-Hubert de Girondiac il y a 3 jours

J'ai découvert le go dans les années soixante, en lisant Scott Boorman, acheté chez Brentano's. J'y joue avec mon petit-fils. Je crois que ce sont les "maoïstes" qui ont introduit ce jeu ici, ce qui explique sans doute le faible nombre de joueurs en France.

 Dernière mise à jour 03/07/2023

    Retour Go