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Anne Dicky - François Mizessyn - Farid Ben Malek - Frédéric Renaud
Jean Ganeval - Guo Juan - Gilles Zemor - Denis Feldmann - Shan Sa

Zoom sur... Anne Dicky

Pour commencer cette série d'articles consacrés à des personnalités du Go Français, nous avons demandé à Anne Dicky, 1er Dan du club de Bordeaux, de bien vouloir répondre à nos questions.

- Quand et comment as-tu appris à jouer au go?

- C'est par ouï-dire que j'ai appris l'existence du go et j'ai commencé à jouer fin 1972. Je jouais déjà au bridge en famille mais pas aux échecs! J'ai alors fréquenté le club de Paris, le seul en France à l'époque, je crois...

- Tu as joué avec les plus grands (Sakata, Ishida), quel souvenir en gardes-tu?


- Quand les pros qui viennent en Europe font un commentaire, il est complet (enfin, il ressemble à ceux qu'on fait nous-mêmes), alors qu'Ishida et Sakata n'ont commenté que deux ou trois coups des parties que j'ai jouées contre eux. Le plus marquant fut un éclat de rire de Sakata lorsqu'au cours de la partie, je n'ai pas répondu à l'un de ses coups!

- Un souvenir de tes voyages au Japon?


- Au Japon les pros ne se gênent pas, de sorte qu'un Ier Dan peut se faire battre de 30 points à 9 de handicap sans avoir eu de catastrophe (rires). J'ai aussi visité la petite classe de l'école de la Nihon Ki-In, des Insei de 7 à 13 ans qui jouaient deux après-midis par semaine: leur niveau moyen (2e dan) était un peu plus fort que le mien à l'époque, mais leurs capacités d'analyse étaient sidérantes, et quand j'en ai fait la remarque on m'a répondu "c'est normal, ce sont des professionnels!".

- Après un long arrêt, tu es revenue au go... As-tu noté des changements?


- Non, André (Moussa) était toujours champion de France! (rires). Plus sérieusement, un grand développement des clubs de province et de la banlieue parisienne.

- A ton avis, pourquoi si peu de femmes jouent au go?

- Heu, je fais de l'informatique, pourquoi si peu de femmes font-elles de l'informatique? Non vraiment, je ne sais pas...

- Tu as un enfant qui, lui aussi, joue au go, as-tu suivi une méthode
particulière pour l'initier ou le faire progresser?


- A vrai dire, j'ai essayé de lui faire poser des pions... il avait 18 mois, ça n'a pas marché (rires). En fait, je lui ai fait poser des parties théoriques à 9 pierres de handicap mais cela ne lui a pas tellement donné le goût de jouer. J'ai peut-être un regret : nous sommes passés trop vite au jeu sur 19´19... Peut-être eut-il mieux valu jouer plus longtemps sur un 13´13.

- Pour finir, quel conseil donnerais-tu à un débutant?

- Jouer! Oser demander des parties à des joueurs plus forts... Et, à mon avis, ne pas trop " potasser " au début. A Bordeaux, même les débutants se " prennent la tête " avec les différents styles de fuseki! Pour ma part, je n'ai joué exclusivement qu'à 9 pierres de handicap pendant des mois. Cela suffit pour acquérir de bonnes bases (accepter un boshi, sortir d'un boshi, invasions au san-san, invasions de milieu de bord...) et arriver très rapidement jusqu'à 10ème kyu.



Zoom sur... François Mizessyn

François Mizessyn, dit Mizo, dit Fanfan, IVème dan, réponds aujourd'hui à nos questions...

- Quand et comment as-tu appris à jouer au go?

- J'étais en première (c'était en 1975) et j'ai participé à un concours de Maths. J'ai gagné un fascicule d'initiation au go édité par la Nihon Ki-In. Dès mon retour à la maison, j'ai construit un jeu avec une plaque de polystyrène et des capsules de bière pour faire les pions, et j'ai appris les règles à tout mon entourage. Cependant, ce n'est qu'en 1979 que j'ai vraiment commencé à jouer (au club de Nantes, dont j'ai appris l'existence à la suite de la parution d'un article dans le journal). Lorsque j'y suis allé pour la première fois, j'ai rencontré Alain Héaulmé. A la question " tu es débutant ? ", j'ai répondu " non! ", persuadé que je savais jouer. Il a quand même posé 5 pierres de handicap sur un 13x13 et je me suis fait exploser! (rires).

- Qu'est-ce qui te plaît dans le go, pourquoi y joues-tu?


- En fait, il m'a suffit de lire le fascicule de la Nihon Ki In pour savoir que ce jeu était fait pour moi! Difficile de définir exactement pourquoi... le but du jeu, sa simplicité et sa puissance à la fois...

- Tu es IVème dan. A ton avis, que te manque-t-il pour être plus fort?


- Le temps. Quand j'étais étudiant, je consacrais jusqu'à 30 heures par semaine au go, et j'ai pu ainsi progresser assez vite, bien que jouant essentiellement contre des débutants. Je suis très loin de pouvoir faire de même aujourd'hui, même si récemment, j'ai commencé à faire pas mal de parties sur IGS (Internet Go Server sur Internet, ndr). En plus, quand on est IVème dan, pour être plus fort, il faut devenir Vème dan, et ça n'est pas si facile que ça.

- Tu t'investis beaucoup dans le développement du go, qu'est-ce qui te motive?

- Je veux jouer! Le jeu me plaît beaucoup donc j'essaie de créer les conditions favorables pour y jouer. Quand j'arrive quelque part et qu'il n'y a pas de club, je le monte! Pendant longtemps, je n'ai pas vraiment été dans le sérail, c'est à dire que ce n'est pas le côté " famille " du go qui m'a attiré au départ. Maintenant, c'est différent. La famille s'agrandit, elle est plus ouverte, plus diversifiée, et c'est plus facile de se trouver des affinités avec telle ou telle personne.

- En 1991, tu es parti au Japon. Peux-tu nous parler de cette expérience?


- En fait, c'est presque le hasard et pas du tout le go qui m'a amené là-bas... Lorsque j'ai fait l'armée, pour avoir quelques après-midi de liberté, je me suis inscrit en DEUG... de japonais. C'est pourquoi, quelques années plus tard, mon patron m'a envoyé travailler au Japon. Ce voyage m'a apporté un véritable changement d'état d'esprit. Avant, c'était devenu difficile pour moi de progresser. Là-bas, j'ai pu changer ma vision du jeu en particulier grâce aux parties de pros commentées à la télévision (2 heures par semaine pendant 2 ans, ça finit par faire de l'effet même sur les plus obtus). J'ai aussi lu pas mal de livres de go en japonais qui n'ont pas encore été traduits, ce qui m'a permis de sortir un peu de ce qu'on apprend en Europe, et bien sûr j'ai joué quelques parties dans différents clubs. A propos du club, savez-vous comment on en trouve un au Japon? Eh bien, il suffit de faire le tour d'une gare en regardant en l'air (les clubs de go, tout comme les restos et les bars, sont rarement au rez-de-chaussée). Même si dans l'ensemble c'est un peu tristounet, parfois, on y apprend des choses. Ainsi, un jour, alors que je jouais contre un vieux monsieur à 6 pierres (j'avais Noir!) j'ai fait un " nez du chien " (voir diagramme, ndlr). Le monsieur s'est mis en colère, me disant que tout le monde savait bien que cette forme était mauvaise! Il a gagné cette partie, et la semaine suivante, il n'a plus voulu jouer avec moi! (rires). Depuis, je n'ai plus jamais fait un " nez du chien ".

- Quel est ton objectif maintenant?

- Durant les 5 premières années, mon maître mot était " progresser ". Maintenant, non. Le monde du go est un milieu où je me sens bien, et c'est surtout pour ça que je continue à jouer. Bien sûr, je serais content de devenir Vème dan... Mais mon intérêt est maintenant plutôt dans le développement du go et aussi du côté " go et informatique " (mes premières lignes de programmation du go datent de 1980).

- Pour finir, d'après toi, que dois faire un 10ème kyu pour progresser?


- JOUER! Pour moi, un 10ème kyu a un déficit de parties. Inutile alors pour lui d'essayer d'apprendre dans les livres car il aura du mal à comprendre, n'ayant pas assez " tripatouillé ". Pour ma part, j'étais 5ème kyu quand j'ai ouvert mon premier livre. Bien entendu, il faut faire attention à ne pas prendre trop de mauvais réflexes. Pour cela, les bouquins d'exercices de vie et de mort sont utiles... Ça dépend essentiellement des personnes. Si on a l'impression d'atteindre un palier dans la progression, alors il faut changer de méthode de travail, ou plutôt d'approche (jouer vite si on est un " lent ", attaquer si on n'aime pas ça, et vice versa...).



Zoom sur... Farid Ben Malek

Vous connaissez bien maintenant notre petite rubrique et ce trimestre-ci, nous avons le plaisir de vous présenter Farid Ben Malek, VIème dan du club de Montreuil, qui a bien voulu répondre à nos questions.

- Quand et où as-tu appris à jouer?


- En fait, j'ai d'abord appris à jouer aux échecs, vers 5 ans, et jusqu'à 16 ans j'y jouais notamment avec un ami que je massacrais tout le temps... Il a alors voulu m'apprendre à jouer au go pour pouvoir me battre (rires). Mais après 2 parties à 9 pierres de handicap, je suis parti en pleurant, très déçu de perdre de 100 points ! Ce n'est que 4 ans plus tard (j'avais 15 ans) que je suis revenu vraiment au go, à l'occasion d'une nuit du jeu à Lyon en juin 1985. J'ai passé la nuit au stand du jeu de go (avec Emmanuel Dockes) et en septembre je suis entré au club. J'ai trouvé le go bien plus intéressant que les échecs car j'étais lassé des parties nulles. Ma première motivation : devenir 1er kyu en 1 an pour pourvoir participer au championnat du Monde des jeunes à Taiwan. J'ai réussi ! En 11 mois, j'étais IIème dan...

- Tu es parti étudier le go au Japon pendant 1 an 1/2. Qu'est-ce que ça t'a apporté?

- Je suis parti là-bas de janvier 1991 à juillet 1992 pour le go mais aussi pour mieux connaître le Japon car un précédent voyage de quelques mois m'avait fait découvrir ce pays : j'y avais notamment vu les inseis (apprentis de go) dans la maison des maîtres! Je suis donc parti IVème dan et je suis revenu VIème dan. C'est Chizu Kobayashi qui fut mon maître. Par contre, j'ai été très surpris par ce qui m'attendait là-bas ! 12 heures de go par jour, 7 jours sur 7, 1 mois de vacances par an...! En fait, le go, qui était un jeu pour moi, s'est transformé en un travail épuisant. En rentrant, on peut dire que j'étais techniquement VIème dan, mais j'avais perdu beaucoup de ma motivation.

- Que te manque-t-il actuellement pour devenir par exemple... Champion d'Europe ?
Quelles sont tes possibilités de progression ici, en France ?


- Pour progresser, il faut travailler, donc avoir du temps et jouer avec des joueurs beaucoup plus forts que soi, et je n'en ai pas souvent l'occasion. Bien sur, il y a IGS, le serveur de go sur internet, mais les cours y sont très chers et même s'il y a plus de joueurs forts qu'en France, ils ne sont pas très nombreux.

- Tu t'occupes beaucoup de pédagogie actuellement. Tu donnes des cours.
Cela t'apporte-t-il quelque chose ?


- C'est vrai, je donne des cours dans le cadre de la FFG, notamment dans des comités d'entreprises. La préparation des cours me prend pas mal de temps. Par exemple, pour le week-end du stage de la ligue du sud-ouest, j'ai dû passer 20 heures. Cela ne me fait pas vraiment progresser moi-même car j'enseigne des notions qui pour moi sont déjà des acquis. Mais j'apprécie les contacts privilégiés qui se créent avec les élèves et j'ai beaucoup de plaisir à les voir progresser.

- Des VIème Dan, il n'y en a pas tellement. Les gens sont impressionnés quand ils te parlent bien que tu sois encore bien jeune. Comment vis-tu cela ?

- J'espère toujours que les gens m'apprécient pour autre chose que mon niveau ! Mais je dois avouer que ce rapport de pouvoir permet de faciliter les contacts. J'essaie toujours de ne pas mettre de distance entre les gens et moi sous prétexte que je suis plus fort au go. Et puis le milieu du go est très sympa; je n'y ai jamais vraiment ressenti de barrière comme c'est le cas aux échecs. En fait, ça viens plutôt des joueurs moins forts qui " n'osent pas "...

- Quel but peut-on avoir quand on est VIème dan ? Etre VIIème dan ?

- Non, être IXème dan (rires). Et puis de toutes façon, si un jour je sens qu'il n'y a plus vraiment de progrès possible, je pense que ce sera largement compensé par le fait de pouvoir faire progresser les autres ; surtout les jeunes. Quoi de mieux que de pouvoir se dire " S'il y a plus de joueurs forts en France qu'au Japon c'est un peu grâce à moi "? (rires)

-Quels conseils donnerais-tu a un joueur 10-8ème Kyu pour progresser ?


- Prendre des cours avec moi! (rires). Jouer et travailler les tesujis, le tsumego, apprendre des parties de pros; mais pas les josekis. Quand j'ai commencé le go, j'avais appris par coeur " 38 Basic Josekis " et 3 mois après, j'avais tout oublié! Peut-être une exception quand même : les josekis sur le hoshi (jeu à 9 pierres de handicap). Enfin, comme le dit si bien Maître Lim : " Il faut se méfier des opinions établies. Il faut se faire sa propre opinion ".



Zoom sur... Frédéric Renaud

Cette fois, c'est Frédéric Renaud, IIIème dan toulousain et vice-président de la Fédération Française de Go qui s'est prêté avec bonhomie à notre jeu des questions-réponses.

- Quand et comment as-tu appris à jouer au go?

- J'avais appris les règles chez les Seailles mais c'est en 1983 que j'ai commencé réellement à jouer avec François Myzessin à l'IGC (Institut de Génie Chimique). Ce qui m'a plû dans le go, c'est que, lors d'une partie, comme un artiste brosse un portrait en trois coups de crayon, il faut essayer d'aller à l'essentiel... Très vite, j'ai fondé un club à l'ENSEEIHT de Toulouse. J'ai pris cela très au sérieux! En effet, je notais sur un petit carnet le résultat des parties... " Ah, 3 parties perdues, on rajoute une pierre! " (rires). J'ai progressé assez vite (3ème kyu en 1 an). J'ai préparé mon premier tournoi avec le livre de Maître Lim. J'ai été jusqu'à poser 30 fois la même partie (Donzet contre Van Zeist) dans un week-end! Je ne supportais pas de ne pas comprendre! Je suis un acharné quand je m'y mets! (rires). En 1985, j'ai fréquenté le club de Paris. Je séchais mes formations en management pour pouvoir aller jouer! Et c'est durant mes 2 heures quotidiennes de métro que j'ai assimilé " Modern Fuseki et Joseki " de Sakata. En 1991, j'étais IIIème dan.

- Quelles sont tes forces et tes faiblesses dans ton jeu actuel?

- Ma force, c'est que je n'ai pas peur d'aller jusqu'au bout des choses même si c'est un peu abusif! (rires). Ma faiblesse...? Mon manque de connaissances théoriques sur les début de parties, en particulier la direction de jeu.

- Tu es IIIème dan et, en même temps, tu as des responsabilités au niveau fédéral. C'est assez rare. Penses-tu qu'il y ait une raison à cela et, toi, comment arrives-tu à concilier les deux?

- A mon avis, il n'y a pas de rapport entre le niveau d'un joueur et son engagement dans la vie du go. De fil en aiguille, je suis entré à la fédé, et quand je commence quelque chose, j'aime bien aller au bout. J'arrive à concilier les deux parce que je suis quelqu'un d'organisé. Mon but est avant tout de développer le go, que l'ambiance ne se perde pas...Je pense que le go peut apporter beaucoup de choses aux gens, en particulier aux enfants.

- Quels sont tes objectifs en tant que joueur?

- Un niveau supérieur à 350 fin 1998, et Vème dan pour l'an 2000.

- Au moins c'est précis!

- Oui, j'ai constaté que ça marche beaucoup mieux si je me fixe des objectifs très clairs (et réalistes!) dans le temps.

- Tu as 2 enfants; Jessica (14 ans et demi) joue au go et Guilhaume (2 ans et demi) pose déjà très bien les pions. As-tu suivi une méthode pour les initier?


- Non, l'initiative vient entièrement d'eux. Comme tous les enfants, ils s'intéressent à ce que font leurs parents et cherchent à les imiter. Pour l'instant, je n'ai suivi aucune méthode particulière d'apprentissage. Guilhaume, qui est encore trop petit pour savoir jouer, est attiré par l'aspect ludique. Quand à Jessica, elle apprécie beaucoup le milieu du go.

- Tu as écris un livre, " Introduction au go "; quel était ton but en l'écrivant?


- Je voulais avant tout présenter les choses d'une manière différente de la méthode japonaise. Cela demande beaucoup de travail car pour présenter les concepts de base, il faut s'assurer de bien les maîtriser soi-même!

- Pour finir, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un 10-12ème kyu qui veut progresser?


- Etre motivé! Assimiler (c'est à dire les connaître par cœur!) quelques livres comme " Tesuji ", " Basic Technics of Go ", " The Second Book of Go " (qui sera bientôt traduit en français). Il faut aussi se faire expliquer ses propres parties. Pour connaître ses forces et ses faiblesses, il faut faire 4 tournois par an. En effet, dans un tournoi, tu es " à poil ", exactement devant ce que tu sais! (rires). On peut aussi apprendre des parties de pros, enfin celles qu'on aime bien; c'est un peu comme la peinture, on est plus ou moins sensible à un tableau.

Zoom sur... Guo Juan

- Quand avez-vous appris à jouer au go ?

- J'ai appris en 1969, j'avais 9 ans. Mais j'ai commencé à vraiment étudier le Go vers l'âge de 13 ans.

- Qu'est-ce qui vous a plu tout de suite dans le go ?


- Ce qui m'a plu ? Gagner des parties !

- Comment faites-vous pour progresser au go maintenant que vous habitez en Europe ?


- Je pose régulièrement des parties de professionnels et je fais des tournois. Le fait de donner des cours est aussi une bonne façon de continuer à progresser.

- Vous raflez régulièrement les 1er prix des grands tournois Européens. A votre avis, votre supériorité tient à vos connaissances théoriques, à votre puissance de combat ?

- Il y a d'abord la connaissance des bases du jeu de Go ; ensuite, il est vrai que travailler la théorie a de l'importance. Le combat vient après.

- Quel est l'âge et le niveau de votre fils Wang Zi actuellement ?

- Il a 12 ans et il est 4ème kyu.

- Comment l'entraînez-vous ?

- Je lui apprends des josekis et lui fais faire des problèmes. Mais il ne travaille pas trop le Go en ce moment. Il fait juste quelques tournois par an.

- Dans vos cours, vous réussissez a capter l'attention de tous, du 12ème kyu au Vème Dan. Comment faites-vous ?

- Je pense tout simplement que pour enseigner, il faut aimer ses élèves et ce qu'on leur enseigne, être disponible et rester humble.

- Comment les élèves travaillent le go dans l'école de pro où vous avez étudié en Chine ?

- Ils jouent beaucoup entre eux et il y a de nombreuses compétitions internes. Parfois, mais pas souvent, ils jouent contre un de leurs professeurs. Sinon, ils apprennent des josekis et travaillent des problèmes de vie et de mort.

- Vous donnez des cours via internet. Pouvez-vous nous en dire plus ?
(et quelle est l'adresse de votre page ?)


- Le but de cette école de Go sur Interent est d'aider les gens qui veulent progresser mais qui ne trouvent pas de professeur ou qui habitent trop loin d'un club. J'ai axé mes cours sur les principes de base et a direction de jeu. J'essaie ainsi de donner des idées simples et des techniques que es joueurs peuvent utiliser au cours de leurs parties. Mais bien sûr, jouer e plus souvent possible reste primordial. Je pense que suivre mes cours et jouer beaucoup (pourquoi pas sur Internet si les gens n'ont pas d'adversaire) peut donner de bons résultats.

L'adresse de mon site est : http://home.wxs.nl/~guojuan

- Vous avez beaucoup d'élèves ?

- Oui ! Une vingtaine actuellement sur Internet et près de 50 au Pays-Bas

- Où en êtes vous de l'écriture de votre propre livre ?

- Je viens juste de le terminer et Kiseido est sur le point de le publier.

- Vous semblez apprécier la France et vous y donnez souvent des cours.
D'après vous, y a t'il un "style français"?


- Oui, c'est vrai que j'aime beaucoup la France et en particulier les joueurs de Go français. Quand je donne des cours en France, je ressens toujours quelque chose de particulier. C'est difficile de définir un " style français ". Peut-être les français aiment-ils plus le combat que les autres joueurs européens. Ils jouent de façon plus " libre ".

- A votre avis, comment faire pour progresser au Go quand on est 10ème kyu ?

- Il faut beaucoup jouer et acquérir un minimum de connaissances, en particulier apprendre des josekis.

- Et pour apprendre la théorie, quels livres, en anglais, conseilleriez-vous à ce même 10ème kyu ?


- Désolée mais je ne peux pas répondre à cette question : j'ai tellement de livres chinois que je n'utilise pas de livres en anglais !

 

Zoom sur… Gilles Zémor

Ce mois-ci, c'est Gilles Zémor, IVème dan et heureux papa de la petite Léa (voir ci-dessous), qui a bien voulu répondre à nos questions.

·- Quand et comment as-tu découvert le jeu ?

Mon premier contact fut la rubrique de Pierre Aroutcheff qui paraissait dans " Science et Vie " à l'époque. Puis j'ai fait deux ou trois parties avec un copain de classe qui connaissait les règles tout en feuilletant " l'ABC du Go " trouvé à la bibliothèque municipale et un bouquin d'Edouard Lasker intitulé " Go et gomoku " (comme j'étais joueur d'échecs au départ, j'étais content de trouver un livre traitant du go écrit par un joueur d'échecs).
Un jour, en passant devant l'Impensé Radical (ndr : librairie parisienne), j'ai vu une affiche pour le club de l'époque qui s'appelait le Trait d'Union (ndr en 1978).
Et j'ai fait ma première partie à handicap 9 avec Fred Donzet (ndr : maintenant Vème dan français) : évidemment, j'ai pris une raclée.

- Et à partir de là, comment as-tu progressé ?

A l'époque, il n'y avait ni fédération, ni échelle : on s'évaluait un peu " comme ça ". Disons qu'en jouant en club et en bouquinant, je suis devenu rapidement accro et Ier dan.
Après un passage en Belgique, où faute de club je n'ai pas joué beaucoup, j'ai recommencé à jouer en prépa : j'étais en Sup. pendant que Pierre Colmez était en Spé ! Nous faisions quelques parties après les cours. J'ai progressé jusqu'à IIème dan.

- Bon, alors comment t'y es-tu pris pour arriver jusqu'à IVème dan ?

En fait, je ne m'en suis pas vraiment rendu compte… Après l'Agreg, j'ai progressé jusqu'à IVème dan en jouant et en lisant des livres. Ce qui a véritablement changé, c'est plutôt ma façon de voir le jeu. Jusqu'à IIème dan, j'avais une manière assez " rigide " de penser : " ce qu'on a le droit de faire, ce qu'on n'a pas le droit ". Ce type de discours est encore assez fréquent chez les joueurs de cette force et quand je l'entends, ça me rappelle quelque chose… Mais un jour, j'ai eu un déclic après, entre autres, avoir découvert le livre " Lessons in the fundamentals of Go " et après des conseils éclairés de Robert Rehm : j'ai commencé à comprendre les notions de forme, d'équilibre, d'investissement de pierres. C'est ce changement d'attitude qui m'a permis d'arriver au niveau de IVème dan, la dernière marche !

- Comment ça " la dernière marche " ?

Je n'ai pas l'impression qu'il y ait réellement de marche supplémentaire ensuite. On peut être
beaucoup plus fort, bien mieux maîtriser les fondamentaux, mais
il ne me semble plus y avoir de concept complètement nouveau à découvrir.
Lorsque je joue maintenant avec un joueur professionnel, je perds mais je n'ai plus cette impression étrange de jouer contre un martien…

- Si tu pouvais consacrer tout ton temps au Go, comment t'y prendrais-tu pour progresser encore ?

Je commencerais par jouer régulièrement en club ou sur Internet contre des joueurs plus forts que moi. Puis je travaillerais la lecture avec des bouquins de tsumego que j'ai déjà mais que je n'ai jamais lus : d'abord les premières séquences, puis les relire avant de passer aux suivantes, etc… Ensuite, je pense qu'il s'agit d'une démarche plus personnelle.

- Et que conseillerais-tu à un 8ème kyu pour progresser ?

Il y a quelques années, un article de " Go-World " relatait la réponse de plusieurs joueurs professionnels à cette question : toutes les réponses étaient différentes et contradictoires ; alors si même eux ne savent pas… ! La réponse de Hashimoto c'était " On ne sait pas " et je crois qu'il a raison. Il y a tellement de manières d'aborder le jeu. Personne ne maîtrise tout, il faut respecter le jeu des autres.
Conclusion : "On ne sait pas ce qui fait progresser, alors, mettez au point votre propre programme et surtout faites-vous plaisir ! ".

 

Zoom sur… Denis Feldmann

Denis, notre " kibbitzeur national ", est un des pionniers du Go français. Il déclare être " le plus fort théoricien des 3e Dans français " et s'est montré ravi de répondre à nos questions lors d'un passage dans la capitale.

- Bonjour Denis. Alors, la question qui brûle les lèvres avant toute autre : comment se fait-il, malgré les quantités incroyables de situations théoriques que tu connais, que tu ne sois pas plus fort ?

En fait, il faudrait simplement que je me décide à travailler sérieusement. J'ai un côté extraverti naturel et j'ai facilement tendance à " jouer pour la galerie ". Durant mes parties, je me laisse emporter par des passions (beauté des coups…). Je suis capable de jouer un coup qui ne marche pas parce qu'il est brillant plutôt qu'un coup " plat " qui marche ! De même, une étude très soignée du yose théorique ne me met pas à l'abri d'erreurs bêtes. Malgré tout, je pense que si j'arrivais à jouer tous les coups dont je me sais capable, je serais 5e Dan…

- Tu fais partie des " anciens " du Go ; quand et comment as-tu appris à jouer ?

En 1969, Roubeau, Lusson et Perec ont publié un livre sur le jeu de Go. Maître Lim a découvert ces gens et leur a proposé d'ouvrir un club. J'ai entendu parler de ce club en Normale Sup et j'y suis allé. A cette époque, les gens étaient " cooptés ". Le jeu était très confidentiel et nous jouiions sur du matériel bricolé (je me souviens de haricots secs et de lentilles !). Très vite, l'arrière boutique de l'Impensé Radical est devenue trop petite et le club s'est installé au Trait d'Union. J'ai d'ailleurs deux anecdotes amusantes sur le 1er championnat de France :
- Pascal Reysset et Renaud Dancet ont joué ensemble. Au cours de la partie, Renaud a repris un coup mais la partie a continué et Renaud a gagné. Mais ils sont allés annoncer tous les deux qu'ils avaient perdu ! Finalement, les arbitres ont déclaré Renaud perdant.
- La première partie de la finale opposait Patrick Mérissert et Yves Langevin. Yves menait largement mais comme il était communiste et qu'il ne voulait pas recevoir la coupe de la Corée du Sud (le championnat ayant été subventionné par la Corée grâce à Maître Lim), il a abandonné la partie !

- Beaucoup de joueurs connaissent ta tendance naturelle à commenter les parties des autres, c'est une vocation ?

J'ai fait de la formation au Go très tôt et je suis prof aussi (même si au début je me suis intéressé au Go du point de vue du chercheur). Les débutants devaient réciter des leçons ! Ce type d'initiation " rigide " provenait tout droit du Japon. A l'époque, passer de débutant à 3ème kyu en un an, c'était la routine. D'ailleurs, je regrette un peu cet état d'esprit. Aujourd'hui, très peu de personnes savent combien le go est un jeu théorique. La seule " relique " c'est le stage fédéral d'été. Le jeu des adultes s'est " sclérosé ". Mais je suis assez optimiste quant à l'avenir des jeunes joueurs. La présence d'Internet permet aussi de faire beaucoup de progrès.

- Tu trouves donc qu'Internet est un outil intéressant ?

Internet ? C'est un truc énorme ! Presque tout ce qui demandait de partir en Asie peut être réalisé via le net : cours particuliers, parties avec des pros, accès à des bases de données de parties, conférences, ateliers… Si quelqu'un veut progresser et est prêt à passer du temps et à s'astreindre à une discipline, il peut le faire! Rien que sur IGS, on peut voir une vingtaine de parties de pros par jour ! J'ai moi-même pris des cours sur Internet avec Yi-Lun Yang mais il a arrêté. Bon, ça ne ressemble pas à la communication en face à face et ça risque aussi de tuer certains petits clubs mais de mon point de vue, ça ne change en rien la fréquentation des tournois.

- Ta fille a presqu'onze ans, elle joue au Go, tu la fais travailler pour progresser ?

Non. Je la laisse jouer comme elle a envie. Elle voulait devenir championne de France pour pouvoir aller au Japon : la plus grosse usine de Pokémon se trouve là-bas ! Mais en y réfléchissant, elle s'est dit qu'il lui faudrait au moins 2 ans pour y arriver, et qu'alors elle serait trop vieille pour les Pokémons !

- Que conseillerais-tu à un 8-10ème kyu pour progresser ?

Il faut lire " Perfectionnement au Go " de Pierre Aroutcheff, sauf le premier chapitre qui, à mon sens, est une " erreur pédagogique " (il ouvre des horizons mais n'espérez pas le comprendre !). Il faut essayer de faire un travail d'apprentissage et apprendre environ une cinquantaine de choses dans chaque compartiment du jeu (josekis, tesujis de base, …). J'ai fait une série d'articles sur les tesujis dans la revue qui peuvent être utiles. De manière générale, arriver jusqu'à 1er dan, c'est facile, mais il faut travailler. Par exemple, compter les libertés des chaines, ça paraît fastidieux, pas un joueur sur 1000 ne le fait ! La nature même de l'apprentissage du Go, c'est que ça résiste ! Aucun de nous n'y échappe.

 

Zoom sur… Jean Ganeval

Président de la Fédération Française de Go depuis l'assemblée générale du 8 mai dernier, Jean Ganeval a accepté de répondre à nos questions.

Bonjour Jean. Cela fait maintenant 7 mois que tu es président de la F.F.G. mais finalement, on ne te connaît pas très bien. Cela fait longtemps que tu joues au Go?

Je joue depuis plus de 20 ans! Je suis un amateur de littérature chinoise et japonaise et je rencontrais souvent des références à ce jeu au cours de mes lectures jusqu'à ce que je lise "Le Maître ou le tournoi de Go" : c'est là que je me suis dit qu'il fallait absolument que je voie ce jeu. Je suis allé acheter des pierres (en bois à l'époque!) et mon premier livre à l'Impensé Radical (1). Puis j'ai commencé à jouer au Trait d'Union (2), l'unique club à l'époque. Beaucoup d'anciens me connaissent donc.
Ensuite, j'ai créé le club d'Antony avec Jean-Michel Barny (il y a 18 ans maintenant!). Très vite, nous avons mis en place le tournoi qui en est aujourd'hui à sa 16ème édition.

Donc apparemment, il n'y a pas que le jeu qui t'as séduit, tu t'es très vite investi dans la vie associative. Pourquoi?

J'ai toujours eu envie de partager et de faire connaître ce que j'aime. Depuis les débuts du club d'Antony, je m'attache à jouer des parties à 9 pierres avec les débutants, à 4 pierres avec les joueurs un peu plus forts (et parfois un petit rengo pour rire avec les amis). Avec les autres membres du club, nous passons beaucoup de temps à organiser des cours, des stages, des initiations… Du coup, je ne progresse pas beaucoup, c'est sûr! Mais plein de gens ont atteint mon niveau (2ème kyu). Après, c'est plus difficile car nous manquons de joueurs forts à Antony.

Tu es actif au sein de ton club depuis très longtemps mais comment en arrive-t-on tout à coup à la présidence de la F.F.G?

En fait, Bernard Dubois (3) ne souhaitait pas se représenter. Après en avoir discuté avec le conseil d'administration, il m'a contacté un jour pour me demander si cela pouvait m'intéresser. A vrai dire, on ne se connaissait pas beaucoup et j'ai été assez surpris. J'ai réfléchi sérieusement et j'ai posé beaucoup de questions avant d'accepter de me présenter à l'élection.

Quelles ont été tes motivations pour accepter?

Ma principale motivation est toujours la même : faire connaître le jeu et aider au développement du Go. Et puis je suis assez fasciné par l'évolution des mentalités vis à vis du Go. Il fut un temps où quand je disais que je jouais au Go, on me répondait "Au quoi…???". Aujourd'hui, même si tout le monde ne joue pas, on ne passe plus pour des martiens. Cela m'intéresse donc de pérenniser et d'augmenter cette notoriété. Par ailleurs, je pense que si on se préoccupe du développement du Go, cela ne peut se faire que part l'intermédiaire d'une structure suffisamment organisée et dynamique et c'est ce que j'ai trouvé dans l'équipe F.F.G. déjà en place.

Bien, tu as été élu avec une équipe : quels sont donc tes projets pour l'avenir?

Mes principaux projets sont les suivants :
- je suis en accord avec le travail effectué par mes prédécesseurs et je souhaite continuer dans la même direction (encouragement des jeunes, formation, etc…)
- mon guide principal est en fait le résultat de la consultation nationale de 1998. Ma "bible" c'est une revue (4) qui contient le compte-rendu en 3 ou 4 pages de toutes les idées des joueurs actifs et concernés par la vie de notre association. Je me base là-dessus pour travailler.
Pour avancer, je suis aidé par une équipe structurée et forte ou chacun fournit un travail de qualité. J'ai connu la fédé à l'époque où le président cherchait désespérément un secrétaire! Aujourd'hui, une douzaine de personnes et des conseillers travaillent par secteurs, dans chaque ligue ou presque il y a un responsable jeune, bref, les choses avancent et les perspectives d'avenir sont bonnes.

Tu es arrivé dans une fédération structurée en ligues. Quel est ton sentiment quant à l'organisation et au fonctionnement actuel de la F.F.G.?

Je crois à un fonctionnement associatif "authentique" c'est à dire quand il y a une réelle volonté de fonctionnement collégial. Par exemple, pour moi, le président n'est pas là pour imposer des décisions (d'ailleurs il ne le peut pas) mais plutôt pour faire circuler les idées et animer les débats afin d'aboutir à des actions.
On est passé d'un "non-système" où tout se faisait en "relationnel direct", et donc où la question du dialogue ne se posait même pas, à un système organisé. Evidemment, cela implique des structures, plus de formalisme, et on peut parfois regretter le côté "copains sympas", mais cette évolution est normale.
La structuration en ligues, si elle n'est pas idéale, doit être conservée : le rôle des ligues se validera de lui-même au fur et à mesure du développement du Go en France. C'est déjà le cas aujourd'hui pour certaines ligues, très actives et très proches des actions de "terrain". Je pense qu'à terme il y aura plus de ligues, probablement une par région administrative.
Bien sûr, cela pose également le problème de la circulation de l'information, mais ce problème existait bien avant l'existence des ligues et, objectivement, de gros efforts ont été faits pour aider l'information à circuler. De toutes façons, j'ai très souvent constaté que même quand l'information est réelle et bien faite, elle n'est pas toujours relayée correctement. C'est le cas par exemple de la lettre du secrétaire qui est envoyée à tous les présidents de clubs mais qui n'est pas toujours lue par les adhérents : là, ça n'est plus du ressort de la F.F.G.!

Quel est le projet qui te tient le plus à cœur et que tu souhaiterais voir aboutir avant ton départ de la présidence?

En fait, ce projet-là est déjà réalisé ! Il s'agissait de la revue (Sourire)… Après son intégration à la F.F.G., il me semblait primordial de la faire évoluer, et je crois que c'est fait ! A quand la vente en kiosques?

Sinon, plusieurs autres points me tiennent à cœur :
- développer les relations avec la Corée : le premier contact des ¼ de finales de la coupe LG a été très bon. Il me semble important pour l'avenir d'entretenir ces relations (échanges de joueurs, …)
- donner au stage fédéral une dimension européenne, quitte à ce que des stages de ligues plus petits voient le jour et se développent.

(1) Impensé Radical : librairie de jeux parisienne, le premier endroit où l'on a pu trouver des livres et des jeux de Go
(2) Trait d'union : café parisien situé rue de Rennes, premier lieu de rendez-vous du club de Paris
(3) Bernard Dubois : président de la F.F.G. de 1996 à 1999
(4) RFG N°81 1er trimestre 98

 

Zoom sur… Shan Sa

Jeudi 27 septembre.
Au 21, rue des Rigoles, dans les hauts de Ménilmontant, le café Les 3 arts réunit quelques joueurs autour des gobans.
Ce n’est pas la réunion habituelle du club Paris XX, qui a lieu tous les mercredis, mais une petite mise en scène destinée à servir de toile de fond à une interview télévisée de Shan Sa.

Née à Pékin en 1972, Shan Sa vit depuis dix ans en France, elle vient de publier son quatrième livre, un roman intitulé La joueuse de go.

Ce livre, récompensé par le prix Goncourt des lycéens 2001 est l’un des "romans de la rentrée". Pour nous, joueuses et joueurs de Go, c’est le livre de l’année… et probablement plus, il s’agit du premier roman écrit en français qui consacre autant de place aux mécanismes subtils de notre jeu.

Grâce à ce livre, le mot Go est apparu en première page du Monde pour la première fois et il est légitime d’espérer que parmi les nombreux lecteurs de ce livre de nouvelles vocations et de nouveaux talents pour le Go vont se révéler.

Construit comme une partie de go (je vous laisse deviner), La joueuse de go décrit l’affrontement, au cours d’une longue partie, dans la Mandchourie occupée des années 30, entre une jeune chinoise et un officier japonais. Femme-Homme, Chine-Japon, Yin-Yang, Vie-Mort… Les multiples dimensions de cette opposition sont effleurées, parcourues, approfondies.

Au cours de son interview pour la chaîne Paris Première, Shan Sa déclare, devant une partie entre Pierre Colmez et Gérard Gabella, que les formes qui s’enlacent sur le goban sont une représentation de la tension érotique qui est l’une des composantes du jeu, plus ou moins enfouie, mais toujours présente.

La lecture de son livre ne laisse aucun doute sur son expérience du jeu, sa façon d’évoquer les états d’âme d’un joueur ou d’une joueuse de Go nous rappellent bien des souvenirs. Shan Sa n’est pas un auteur qui s’intéresse au Go "de l’extérieur", elle est joueuse de Go et douée d’un grand talent littéraire. Elle a su mettre en mots ce que l’on éprouve lors de ces parties dont l’enjeu dépasse celui d’une simple "confrontation sportive".

Plutôt que de vous raconter le livre en voici un très bref extrait, lors du yose, l’héroïne énonce ce qu’elle a appris de son adversaire au cours de la partie : "Je ne connais rien de lui, excepté son âme."

Après une séance de dédicaces, elle a accepté de répondre, toujours avec le sourire, à quelques questions pour la Revue Française de Go.

RFG : Comment avez-vous commencé à jouer au Go ?

Shan Sa : Mes parents m’ont donné le goût du jeu en m’apprenant les échecs chinois alors que j’étais encore une enfant. Le Go m’a toujours attiré, par son côté élégant et mystérieux. Je vois ce jeu un peu comme on regarderait les étoiles. J’y ai été initiée lors de mes années de lycée en Mandchourie. J’étais la seule fille à le pratiquer. Depuis toujours j’ai perçu ce jeu comme une activité virile, ainsi que comme un signe d’intelligence extrême. Mais je n’ai jamais été satisfaite de mon niveau, je ne me trouve pas très bonne au Go.

RFG : C’est un peu le cas de tous les joueurs…

Shan Sa : Oui, vouloir progresser, c’est se trouver en permanence confronté à ses propres limites. Au Go, le premier ennemi, c’est d’abord soi-même. Il est très difficile d’identifier les plus infimes branches cérébrales sur lesquelles il faut agir pour aiguiser son intelligence.

RFG : Et la confrontation entre Chine et Japon ?

Shan Sa : J’ai situé l’histoire à une époque très critique des relations entre Chine et Japon, au début de l’invasion du continent chinois par l’armée impériale. À cette époque, le Japon redonnait vie aux valeurs des samouraïs. Les différences entre ces deux cultures aux racines communes étaient alors exacerbées. Les soldats japonais appliquaient de nouveau les enseignements du Hagakuré, traité d’éthique samouraï du début du XVIIIe siècle, pour eux, il n’y avait rien de plus important que de savoir mourir.

À travers le Go, ces différences s’expriment elles aussi. En Chine nous avons connu une succession de dynasties, des influences diverses, notre culture n’est pas restée aussi pure que celle du Japon. Les Japonais ont élevé le jeu en lui donnant une dimension mystique, ils en ont fait un moyen d’accéder au divin, alors qu’en Chine le jeu est resté beaucoup plus charnel, beaucoup plus terrestre. Oui, c’est cela, en Chine le jeu est terrien alors qu’au Japon il est céleste.

Quelques précisions qui iront droit au cœur des puristes du vocabulaire.

Shan Sa : Je n’ai pas utilisé de termes techniques pour ne pas perdre le lecteur, et si j’ai préféré le mot Go au nom chinois wei qi, c’est tout simplement parce que c’est le mot utilisé en français. Les mots damiers et pions que l’on retrouve dans le livre sont les équivalents français des termes chinois.

RFG : Mais vous utilisez aussi le terme goban ?

Shan Sa : Oui, mais vous remarquerez que c’est uniquement lors de la description d’une partie qui se déroule entre deux officiers japonais. D’une manière générale les termes chinois de Go sont plus poétiques et les termes japonais plus concrets, ainsi le coup qu’on appelle Geta (sabot) en japonais se traduit par ´ filet ª en chinois.

Coup d’œil sur le monde du Go

Shan Sa ose à peine l’avouer. Il y a peu encore elle ignorait presque tout du Go en France. Emmitouflée dans son long manteau noir, elle s’excuse, se défend. ´ Je suis solitaire. En Chine il y a beaucoup de joueurs. En France c’est plus difficile. Elle ajoute : "Je n’arrive pas à prendre le temps."

De toute façon on la verrait mal dans un club. Et à vrai dire, cela importe peu. Avec son roman, La joueuse de go, elle a déjà fait beaucoup pour la notoriété du jeu en France. Qui plus est, Shan Sa n’est pas décidée à s’arrêter là. La jeune femme de 29 ans, qui a quitté Pékin en 1990, s’enthousiasme pour le Go français: "J’ai rencontré tant de gens sympathiques." Beaucoup d’éloges. Pourtant le Go tel qu’elle l’a connu en Chine, tel qu’elle le décrit dans son livre, est très différent de celui pratiqué ici, calqué sur le modèle japonais.

´ En Chine, le Go est plus populaire et plus répandu. Il n’y a pas cette notion de club. Dans La joueuse de Go, les deux protagonistes se retrouvent Place des Mille-Vents pour leur partie. Le genre d’endroit que Shan Sa doit regretter sans doute. Elle raconte, sourire aux lèvres : "Dans les villes chinoises, il y a des lieux à l’esprit souvent très poétique où les gens peuvent se réunir pour jouer." Cette vision du jeu diffère profondément de la pratique japonaise, caractérisée par une structure en club très hiérarchisée et très codifiée, à l’image de cette société.

Le soldat japonais, dans le livre, s’étonne en découivrant la Place des Mille-Vents. "Si je n’étais pas venu, je n’aurais jamais cru à l’existence d’un endroit où le Go est offert aux passants. Pour moi strictement réservé aux élites, une partie de Go est une cérémonie célébrée dans le plus grand respect." (La joueuse de go p.160). En quelques lignes, l’auteur résume ici le fossé qui sépare les deux cultures.

à une démarche très intellectuelle Shan Sa préfère une approche du jeu plus émotionnelle, voire sensuelle. "Dans mon roman, je décris une partie très charnelle". "Le Go : un partage, un jeu où les âmes se rencontrent", dit-elle. "Rien à voir avec ce que décrit Kawabata dans Le maître ou le tournoi de Go. Dans ce livre, il y a le Go et le zen. C’est une force presque destructrice. Kawabata cherche à atteindre l’essentiel. Le récit est volontairement répétitif afin de se propulser vers une autre dimension, vers le divin. "

Lorsqu’elle parle de Go, Shan Sa se passionne, s’enthousiasme. Elle est heureuse de raconter que nombre de ses lecteurs, des jeunes qui lui ont décerné le prix Goncourt des lycéens, l’interrogent sur le Go. Affirmative et optimiste elle conclut : "Je crois qu’il y en a beaucoup qui se lanceront dans l’aventure." En marge du monde des éditeurs, Shan Sa est probablement ravie de faire partager sa passion.

Nicolas Barotte