Retour au sommaire de l'anthologieLe Go en Chine populaire en 1981

F. Petitjean- 1980 - RFG N°5

N.B. : Les notes de bas de page ne sont pas reproduites.

clubpekin2.jpg (30351 octets)Nous savons que le Go, né en Chine il y a presque 40 siècles, s'y est développé avec quelques vicissitudes. Depuis la Révolution Culturelle, le Go chinois est en plein essor : il est intéressant de comparer les informations contenues dans cet article à celles que donnait Dowsey en 1979, après un séjour de Go en Chine, à l'invitation des Chinois. Les progrès sont nets. Où en est-on donc en 1981 ?

Le nombre de joueurs de Go chinois est difficile à fixer, mais il est de l'ordre de plusieurs millions. On joue beaucoup à la maison mais peu dans la rue, alors que les joueurs de Xiangqi (Échecs chinois) eux, sont légion sur les trottoirs de Pékin ou dans les parcs. C'est, explique-t-on, que la concentration nécessaire pour jouer au Go interdit de jouer dans l'environnement bruyant du dehors. Tandis que le Xiangqi...

Le matériel de Go et la règle utilisés en Chine ne sont pas les mêmes qu'au Japon ou en Occident. Question matériel, les goban sont des quadrillages 19 X 19, naturellement, mais qui peuvent se trouver sur des supports variables : toile cirée, bois plat ou tissu. Quant aux pierres, elles sont convexes d'un côté et plates de l'autre, ce qui crée une sensation très curieuse à la main habituée aux pierres biconvexes. Question règle, la définition du territoire est différente de la règle japonaise utilisée en Occident. En règle chinoise, le territoire c'est l'ensemble des intersections encerclées par des pierres de même couleur plus les pierres encerclantes. La conséquence immédiate de cette définition est que les dame n'existent pas, que les prisonniers peuvent être tués sans pénaliser celui qui tue, etc...

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Une partie de Go sur un trottoir de Pékin.
On reconnaît à droite Jean-François Alleton,
du Club de Go de Rouen. Photo : août 1981.
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En France, on a tendance à confondre règle chinoise et règle de Taiwan. C 'est une erreur : la règle n'est pas la même en République Populaire de Chine et à Taiwan.

La dernière édition des règles du jeu utilisées en Chine Populaire date de 1979. Mais ces nuances, qui peuvent intéresser un juriste du Go ne sont pas suffisamment importantes pour empêcher de jouer ensemble un occidental naïf et un Chinois.

Les Champions nationaux sont très connus en Chine, surtout ceux qui ont eu des victoires à l'étranger et qui bénéficient pour leur popularité de l'amplification des médias. Si la conversation avec des Chinois non-joueurs arrive sur le Weiqi, le nom de Nie Wei Ping est prononcé spontanément. Et si, dans une librairie vous prononcez la phrase petit-nègre "Nie Wei Ping Weiqi Chu", c'est sans hésitation que le vendeur vous sort son dernier livre, sous l'œil étonné des autres clients.

Une autre approche du Go chinois peut être faite par ses organisations officielles. Le Weiqi relève de la Fédération Nationale des Sports, où la Commission Nationale des Échecs regroupe les Associations de Xiangqi, Échecs occidentaux et Weiqi. L'Association Chinoise de Weiqi est présidée par Monsieur Fang Yi, vice premier ministre. Que ce poste soit occupé par un dirigeant politique montre la volonté du gouvernement chinois de développer le Go.

L'organisation nationale organise et finance toutes les compétitions et déplacements des joueurs. Ceux-ci sont tous officiellement amateurs, bien que certains bénéficient d'aménagement dans leurs études ou leur travail, Qian Yu Ping, de Shanghai par exemple, 14 ans, est l'un des jeunes espoirs du Go Chinois. Lycéen, il poursuit une scolarité théoriquement normale, mais en fait, dispose de permissions pour assister aux compétitions, etc. Même chose pour un autre jeune champion de Shanghai, Da Yuan qui, à 18 ans est de la force d'un 9 dan pro japonais et est le favori chinois pour le Championnat du Monde 1982. Parmi les joueurs, les jeunes sont prioritaires pour les compétitions internationales.

Le tournoi de sélection pour le Championnat du Monde est réservé aux moins de 26 ans : c'est ainsi que Nie, ne joue plus en compétition internationale, bien qu'il soit encore le plus fort et qu'il aurait probablement gagné le Championnat du Monde 1980 remporté par un japonais. Les aînés jouent dans les compétitions nationales et se consacrent à des tâches pédagogiques.

Il n'existe pas de compétitions réservées aux hommes ou aux femmes. Tous participent aux mêmes compétitions, les catégories sont celles des âges : moins de treize ans, moins de dix-huit ans etc.

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Le Club de Travailleurs en août 1981.
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Il n'existe pas non plus de système de classement. Lorsqu'un joueur veut dire sa force, il doit donner ses résultats en compétition. Il semble pourtant exister de vagues notions d'une gradation supérieure. En tout état de cause, le 1 dan chinois est supérieur au 1 dan occidental. Cette absence de système de gradation est probablement à mettre en liaison avec le fait qu'on ne joue pratiquement pas de parties à handicap. Celui-ci n'est utilisé que par des joueurs qui se connaissent bien et ont pu constater empiriquement que les parties étaient intéressantes à x pierres. Dans ce cas, Noir peut soit utiliser les dispositions japonaises, soit placer librement ses x pierres sur le goban. Les compétitions à handicap n'existent pas et l'idée qu’elles puissent exister semble parfaitement incongrue...

A Pékin, par exemple, il n'existe qu'un seul club pour adultes. Les enfants jouent à la Maison de l'Enfance. Le "Club des Travailleurs" est situé dans le Parc du même nom, accolé à la Cité Interdite (voir les photos). Là, le Pavillon de l'Art des Échecs accueille les joueurs de Go, de Xianqi et d'Échecs occidentaux. Certains jouent également au Bridge. Chaque jour où le climat le permet une centaine de personnes sont présentes. La plupart joue au Go. L'affluence est plus grande en été car les locaux fermés sont petits, mais une immense véranda permet de jouer en plein air, ce qui n'est pas possible en hiver. Dans la salle du Pavillon, comme dans tous les clubs de Go du monde, des tableaux indiquent le déroulement des tournois en cours et des inscriptions murales appellent à s'aider à progresser mutuellement. Le niveau moyen des joueurs présents est, parait-il de 1 dan chinois, mais il y a également quelques joueurs très forts. Il est tout à fait possible à un touriste occidental d'y aller jouer quelques parties : pas besoin de parler chinois pour jouer au Go! Son arrivée inopinée provoquera l'étonnement de l'assistance, mais le club retrouvera rapidement son calme.

Il existe en Chine une quarantaine de clubs, c'est à dire un ou deux par province, dans les villes principales. Ce qu'on entend ici par club n'est pas seulement la simple réunion de joueurs, mais leur réunion officielle : le club est le dernier étage de l'administration, après les fédérations nationales et régionales. Par contre, les lieux de réunions de Go sont innombrables - stricto sensu - et peuvent exister dans les usines, les universités, etc... Chacun de ces clubs officiels compte une centaine de joueurs inscrits : cela ferait 4000 joueurs officiels. Mais ce chiffre sous-estime largement le potentiel du Go chinois, puisqu'il n'est que le dixième du tirage de la revue Weiqi !

En fait, à côté des organisations officielles existe ce que Sempé appellerait un formidable "réservoir humain de qualité".

Les dirigeants du club insistent sur le fait que la proportion de joueurs de Go augmente sans cesse par rapport au joueurs de Xiangqi, et que le niveau s'améliore rapidement. La proportion de joueurs de Xiangqi et de joueurs de Go s'est inversée depuis avant la Révolution culturelle. Effectivement, il semble qu'il y ait une volonté des pouvoirs publics chinois de développer le Go. Le fait qu'à la tête de l'Association soit un vice premier ministre est déjà un indice. Télévision et journaux rendent régulièrement compte du résultat des compétitions et Nie Wei Ping a été chargé il y a quelque temps de présenter une série d'émissions de présentation du jeu à la télévision. Des facilités sont données à la revue Weiqi pour sa publication et sa diffusion, et les livres de Go sont très facilement trouvables en librairie. Toutefois le Go ne fait pas l'objet d'un enseignement officiel à l'école, comme les Échecs dans d'autre pays où les classes sport-études en France. Si un enseignant veut apprendre à jouer au Go à ses élèves, libre à lui, mais en dehors des heures normales d'études.

La revue Weiqi est publiée tous les mois à Shanghai. C'est la seule publication périodique de Go. En 1981, son tirage atteint 40 000 exemplaires, alors qu'en 1979, il n'était que de 30 000 : il a donc progressé de 33 % en deux ans ! Weiqi, comme toutes les revues de Go du monde, donne des informations sur la vie des organisations, des articles théoriques, des commentaires de parties et des problèmes ...

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Dans son numéro de juillet 1982, la revue Weiqi
a publié un article consacré au "Go en France" (Wei Qi Zai Fa Guo).
(Cliquez sur l'image pour lire l'article)

La Chine s'ouvre au Monde. Depuis ces dernières années, on le sait, des progrès considérables ont été faits. Le Go bénéficie de cette ouverture et la Chine devient partie prenante dans la vie du Go mondial. Tout de suite on pense à une compétition de "politique du Go" qui pourrait s'établir entre la Chine et le Japon, puisque ce dernier pays est l'incontestable leader du Go mondial, ne lésinant pas sur les moyens mis en jeu pour garder le sente en la matière. Or, on ne peut pas dire qu'il y ait vraiment de compétition du point de vue chinois. Les Chinois sont en effet très favorables à la création d'une Fédération Mondiale de Go dont l'idée a été lancée lors des réunions qui furent tenues au dernier Championnat du Monde. Par contre, on sent un certain agacement à ce que le Championnat du Monde se tienne toujours à Tokyo. Manifestement les Chinois souhaiteraient que la ville et le pays d'accueil changent et l'on sent le souhait secret qu'il se tienne un jour à Pékin. Le problème fondamental reste que pour l'instant la Chine a d'autres priorités que le Go en matière de dépenses... Mais une chose est sure et affirmée : si la Chine le pouvait, et un jour viendra où elle le pourra, elle donnerait à son Go un rayonnement puissant.

Les pays occidentaux sont des petits enfants en ce qui concerne le Go et ils ont tout à gagner de leurs aînés extrême-orientaux. L'équipe de Go-rfg et tous ceux qui oeuvrent au développement du Go en France en sont persuadés et font en sorte que des liens solides d'amitié et d'échange s'établissent entre la France et les grands pays du Go : la Chine est au premier rang.