Histoire
du Go en Chine
Présentation générale
F. Petitjean - 1981 - RFG N° 12
N.B. : Les notes de bas de page ne sont pas reproduites.
Depuis
quelques années, les Chinois sont arrivés en force sur la scène du Go
mondial. Le Championnat du Monde amateur qui se tient chaque année depuis
1979 à Tokyo a permis aux joueurs Chinois d'apparaître sous les projecteurs.
C'est ainsi que Nie Wei Ping, Chen Zu De, Ma Xiao Chung ou Shao, champion
1981 sont devenus des stars du Go mondial. Chez les femmes, Kung Shang
Ming est reconnue par tous comme la meilleure joueuse du monde. Mais également
la Chine montre sa volonté d'ouverture en envoyant régulièrement des délégations
dans les grandes manifestations du Go européen depuis 1979, année qui
vit la première apparition d'une équipe chinoise au Congrès Européen de
Paris.
En fait, cette percée n'est qu'apparente car le Go est
présent en Chine depuis des millénaires.
On a peu d'informations sur l'histoire du Go en Chine.
Beaucoup moins en tous cas que sur l'histoire du Go au Japon. Des articles
sur ce sujet sont publiés de temps à autre dans la revue chinoise Weiqi,
mais sont difficilement accessibles. En tout cas aucun travail de fond
n'a été entrepris sur le sujet en Chine.
Le Go est né au Tibet ou en Chine du nord il y a peut
être 4000 ans. Ses origines sont douteuses : il est probable que l'objet
avec lequel on joue a été inventé avant le jeu. Il pouvait s'agir d'une
sorte de boulier. Cette hypothèse s'appuie sur le fait qu'on a retrouvé,
en archéologie romaine, des abaques composés d'une grille sur laquelle
on déposait des pions... Une fois le matériel construit, il ne manque
plus que la règle de prise pour avoir un jeu de Go.
Les débuts du jeu lui-même sont confus. Il semblerait
qu'il ait existé sous deux formes : la forme Ch’i qui se jouait sur 19
lignes avec une règle proche de la règle japonaise actuelle, et la forme
Yi qui se jouait sur 17 lignes, avec une règle proche de la règle chinoise
actuelle.
Si on ne dispose pas d'une histoire du Go à proprement
parler, restent des constantes et quelques jalons. Au risque de faire
hurler les sinologues, on peut considérer que la société classique chinoise
a été relativement stable et dichotomique : deux classes, les paysans
et les aristocrates, la constituaient. Le Go était une activité noble,
de cour, comme on pourra le voir plus bas et était ignoré du petit peuple.
C'était également le cas au Japon à la même période. Cette situation va
durer tant bien que mal jusqu'à la Révolution de 1949, date à laquelle
le jeu va commencer à se répandre dans le peuple.
Le Go, donc, apparaît très tôt dans l'histoire de la
Chine. Confucius parle des vertus morales du jeu et Mencius cite également
le Go.
La première partie notée date du IIIè siècle après J.
C. Elle fut jouée vers l'an 200 entre Sun Saku et Rohan. Elle montre que
le jeu de l'époque était déjà très élaboré .
En fait il n'y aura pas de très grands progrès jusqu'à
l'époque moderne : on ne peut pas dire que les Chinois seront de grands
théoriciens du Go. A cette époque, on jouait alors que Blanc et Noir avaient
déjà placé deux pierres diagonalement sur les points 4-4 (les hoshi n'existaient
pas), et Blanc jouait le premier coup.
On pensait jusqu'à récemment que le premier Traité de
go chinois avait été publié sous la dynastie Tang, au VIIè siècle. En
fait, les découvertes archéologiques de ces dernières années montrent
qu'il faut remonter jusqu'aux Dynasties du Nord et du Sud (420-581) pour
trouver un traité attesté, mais non encore découvert.
Plusieurs livres sont effectivement publiés sous les
Tang : les Notes diverses sur les images célestes (Yun Xian Za
Ji), le Traité de Go en 9 parties pour nourrir les rêves des dragons
et des rois (Wang Ji xin meng qing lung tu qi jing jiu bu shou ji),
les notes sur le milieu du ciel (Tian Zhong Ji) qui tous sont consacrés
au Go.
Le plus célèbre est sans conteste le Livre des passe-temps
innocents, publié sous la dynastie Song au Xè siècle. Cet ouvrage
renferme un Traité en 13 articles, fortement inspiré des précédents,
des parties notées, dont l'une date du IIIè siècle, et des problèmes de
vie et de mort, dont le niveau est assez élevé.
Tout au long de l'histoire Chinoise, seront publiés des
livres consacrés au Go. Tel le Traité Fondamental sur le Go (Yuan
Yuan qi jing), sous les Yüan (1606-1628)
Au XVIIè siècle, les jésuites sont en Chine. Mattéo Ricci,
de retour en Occident publie une relation de son voyage sous le titre
Histoire de l’Expédition Chrestienne au Royaume de la Chine.
Paragraphe consacré au Go dans l'édition de 1616, Lyon
:
" Autre sorte de ieu le plus sérieux qu’ils
aient.
Il y a entr'eux vne sorte de jeu fort sérieux qui
est tel. Plusieurs ioüent sur vn damier de trois cens cellules, auec
deux cens pieces (ou dames) desquelles les vnes sont blanches, les autres
noires. Auec ces pieces l'vn tasche de ranger les pieces de l'autre
au milieu du damier, à fin que par apres il commande aux autres cellules.
En fin celuy qui s'est emparé de plus de cellules au damier est appelé
vainqueur. Les Magistrats se plaisent extremement à ce ieu, & passent
souuent la plus grande partie du iour en ioüant ; car entre de bons
ioüeurs vn ieu dure souuent vne heure entiere. Ce luy qui entend bien
ce ieu, encorqu'il n'excelle en aucune autre chose est honoré, &
connuié de tous. Voire quelques-vns le choisissent pour maistre auec
les ceremonies accoustumees, à fin qu'ils apprennent de luy bien exactement
toutes les particularitez de ce ieu. "
Cette présence du Go à la cour impériale est confirmée
deux siècles plus tard. En 1888, l'impératrice Ci Xi fait reconstruire
le Palais d'été à Pékin, après qu'il eut été détruit par les occidentaux...
Les peintres qui le décorent parsèment les allées couvertes des jardins
de scènes de Go.
Après la révolution bourgeoise de 1911, la Chine traverse
une période difficile : les guerres sino-japonaises, l'instabilité politique,
la Révolution en marche font passer le Go au second plan. Mais il ne disparaît
pas : en cherchant bien, on peut trouver chez les bouquinistes pékinois
de vieux ouvrages datés de ces années (l'auteur en a lui-même acquis quelques-uns).
Et c'est dans les années 1920 qu'un enfant du nom de Wu Ching Huan est
emmené au Japon pour y devenir un super-champion sous le nom de Go Seigen.
La Révolution chinoise de 1949 est un tournant dans l'histoire
du monde : le Go prend également le virage. La disparition des barrières
sociales classiques permet un relatif développement du Go. Toutefois le
niveau reste faible et le nombre de joueurs peu élevé. Des compétitions
sont pourtant organisées, une revue est publiée.
La Révolution Culturelle va, à partir de 1965, frapper
le Go de plein fouet. Enraciné dans la Chine classique, et ainsi socialement
marqué, le Go va être sévèrement critiqué et ses activités officielles
vont disparaître : la revue Weiqi cessera de paraître, les livres
ne seront plus mis en vente, seront brûlés disent certains, les compétitions
seront interdites. Nie Wei Ping, qui sort du lycée au moment de la Révolution
Culturelle, et qui est déjà très connu puisqu'en 1962 il était troisième
au Championnat chinois des moins de treize ans, est envoyé - comme des
millions de jeunes intellectuels - à la campagne. Il se retrouve dans
la province du Heilongjiang, au nord de Pékin. Il y restera quatre ans
: cette période ne semble pas être le meilleur souvenir de sa vie... Les
joueurs de Go chinois semblent avoir poussé un ouf ! de soulagement à
la fin de la Révolution Culturelle.
Depuis cette époque, le Go a fait de gros progrès en
Chine. On peut considérer qu'il ne s'est vraiment développé que depuis
une dizaine d'années. Les progrès sont tant quantitatifs, par l'accroissement
sensible du nombre des joueurs, que qualitatifs, puisque les Chinois sont
aujourd'hui au top niveau mondial. Il semble que ce phénomène soit dû
à une volonté marquée des autorités de développer le Go.
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