Poème de Charles Baudelaire


On sait qu'en 1841Charles Baudelaire s'embarquait pour un voyage en Orient ; il semble qu'il y ait appris le go et ait même participé à un petit tournoi d'amateurs ; il avait sans doute acquis plus de vocabulaire que de technique, si on en juge par ce poème, qui figure dans les Fleurs du Mal sous une version affadie, l'éditeur ayant jugé celle-ci trop hermétique



Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Quand le mur bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur les pions gémissant en proie au tsumégo,
Et que des quatre coins embrassant tout le cercle
Il verse une influence plus froide qu’un tombeau ;

Quand la grille est changée en un cachot humide,
Où quelques kikashis, comme des chauve-souris,
S'en vont frôler les tares de leurs ailes timides
Et se cogner la tête à tous les ponnukis ;

Quand les shichôs fuyant en immenses traînées
viennent se briser net comme dans un étau

Et qu'un peuple muet d'infâmes hamétés
A tendu ses gétas au fond de mon moyo,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et dérangent mes plans d’un affreux hurlement,
Elles marquent le début du long byoyomi
Ne cessant plus de geindre un décompte obsédant.

Et mes groupes sans yeux, en cortèges tragiques
Défilent vers le tas de prisonniers ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et mon adversaire sarcastique,
Sous mes pierres enlevées compte son territoire.

 


Dernière mise à jour le 19/07/2023

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