Je suis un chat - 吾輩は猫である

Wagahai wa neko de aru.

Natsumé Sôséki -夏目漱石

D'après la traduction de Jean Cholley

Le chapitre 11 relate une partie de Go chez le professeur Kushami

 

Chapitre 11 (suite)

 

Pendant que Meitei et Dokusen se livrent à leur duel acharné devant l'alcôve, Kangetsu et Tôfû sont assis l'un à côté de l'autre devant la porte du salon, près de mon maître, qui a le visage jaune. Trois bonites séchées sont étalées sur les nattes devant Kangetsu. Elles sont alignées bien sagement, sans enveloppe, et offrent un spectacle étrange.

Elles proviennent de l'intérieur du kimono de Kangetsu et sont encore tièdes au toucher. Mon maître et Tôfû les fixent d'un regard étonné, et Kangetsu ouvre enfin la bouche.

- Je suis revenu de chez moi voici quatre jours, mais j'ai dû courir à droite et à gauche pour diverses affaires et je n'ai pas pu venir vous voir.

-Il n'était pas nécessaire de te hâter autant, réplique mon maître avec sa rudesse habituelle.

- Ce n'était certes pas nécessaire, mais il fallait que je vous apporte vite ce petit cadeau de chez moi.

- Ce sont des bonites séchées?

-Oui, c'est le produit le plus fameux de ma région.

- Peut-être, mais il doit y en avoir aussi à Tôkyô, commente mon maître en prenant la plus grosse bonite dans ses mains pour l'approcher de son nez et la flairer.

- La qualité d'une bonite ne se détermine pas à l'odeur

- Ces bonites sont un produit fameux de ton pays parce qu'elles sont grosses?

- Goûtez-les et vous verrez.

-Pour sûr, j'en mangerai, mais il manque un morceau à celle-ci.

- C'est pour cette raison qu'il me fallait vous les apporter au plus vite.

Que veux tu dire ?

- Je veux dire que les rats les ont grignotées.

- C'est dangereux. On pourrait attraper la peste.

- Non, vous ne risquez rien, il n'y a pas de danger pour quelques coups  de dents comme cela.

- Où les rats ont-ils grignotés ces bonites?

- Dans le bateau.

-Le bateau? Comment cela?

-Comme je ne savais pas où les mettre, je les ai enveloppées dans le sac de mon violon et j'ai pris le bateau ; c'est arrivé le soir. S'il n'y avait que les bonites, cela passerait encore, mais les rats ont pris mon violon pour du poisson et l'ont grignoté aussi.

- Ces rats sont bien distraits. Je me demande si on devient étourdi à ce point quand on habite sur un bateau, poursuit mon maître sans cesser de regarder les bonites. Personne ne comprend ce qu'il a voulu dire.

- Les rats sont distraits, où qu'il soient. C'est pourquoi je me suis inquiété, à ma pension, et j'ai mis les bonites dans mon lit le soir pour éviter une autre attaque des rats.

- Ce n'est pas très propre.

- Lavez les un peu avant de les manger.

-Un peu? cela ne suffira pas à les rendre propres.

- Alors vous pouvez les mettre dans la lessive et les frotter jusqu'à ce qu'elles reluisent.

-Tu as dormi avec ton violon aussi?

-Non je ne peux pas, il est trop gros...

- Hein, quoi? Tu as dormi avec ton violon? Quel raffinement! Il y a un poème qui dit : "Au printemps qui s'en va, on se sent le cœur lourd, comme chargé d'un luth[2]" mais c'est de l'ancien temps. Si les hommes de talent de notre époque de Meiji ne dorment pas avec leur violon, ils ne peuvent pas espérer surpasser les anciens. Que penses-tu de :

Dans la longue nuit d'automne

Il serre son violon

Contre sa chemise de nuit?



[2]Poème de Yosa Buson


 
 床の間の前で迷亭君と独仙君が一生懸命に輸贏しゅえいを争っていると、座敷の入口には、寒月君と東風君が相ならんでそのそばに主人が黄色い顔をして坐っている。寒月君の前に鰹節かつぶしが三本、裸のまま畳の上に行儀よく排列してあるのは奇観である。

 この鰹節の出処しゅっしょは寒月君のふところで、取り出した時はあったかく、手のひらに感じたくらい、裸ながらぬくもっていた。主人と東風君は妙な眼をして視線を鰹節の上に注いでいると、寒月君はやがて口を開いた。

Dernière mise à jour le 29/11/12 

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