Revue Française de Go N° 100

Avant que la Revue n'existe


Par Jean-Pierre Lalo


Jean-Pierre Lalo incarne la revue depuis des années. Il revient sur la préhistoire et l'antiquité du Go en France. Chronique, de 1969 à 1979, date de naissance la RFG.

L'histoire commence avec les documents écrits... À partir de 1979, nous disposons des chroniques trimestrielles de Go-Revue Française de Go, qui a toujours accordé autant d'importance aux informations qu'aux articles techniques.
Mais on peut considérer qu'à ce moment, la route était déjà construite en dur, comme une voie romaine que les générations suivantes se sont contentées d'élargir et de goudronner. S'il était déjà paru auparavant des ouvrages consacrés au go, ces témoignages d'une antiquité furent essentiellement des ouvrages techniques, leurs auteurs restant discrets sur eux mêmes et leurs contemporains.
Qu'en est-il donc de ce qui a précédé ? Quelles sources ont réuni leurs eaux pour obtenir la rivière actuelle? Pour tenter de vous l'apprendre, voici une petite chronique de la préhistoire et de l'antiquité du Go français. Cette chronique est malheureusement incomplète et partiale, même si elle s'est améliorée grâce à quelques conversations avec Patrick Mérissert-Coffinières, et surtout grâce à l'aide de Denis Feldmann, car elle est essentiellement écrite à partir des souvenirs de mes propres débuts et des sources citées en bibliographie, donc trop centrée sur Paris; je n'ai évidemment pas cité tous les Parisiens qui se sont contenté de jouer, mais je suis sûr d'avoir oublié quelques personnalités actives, sans compter ceux dont j'ai oublié les dates d'arrivée, et que je n'ai donc pu intégrer: qu'ils acceptent mes humbles excuses.
Lalo Reysset en 1979

 

Pythagore

La source du fleuve
...était-elle double ? D'un côté le nom de Jacques Vrignaud est cité deux fois: en 1965 dans GO REVIEW, qui reproduit une lettre écrite à l'association japonaise pour se procurer livres et matériel, afin de répandre en France le jeu qu'il vient d'apprendre avec des amis grâce à des documents obtenus à l'ambassade du Japon ; en 1969, dans le livre de Sidonie Ladoucette, qui le présente comme celui qui a introduit le go en France. Mais il n'y a aucune autre trace, que ce soit dans les écrits ou les souvenirs des « grands anciens » , de ce précurseur.
La source « officielle » est le professeur Claude Chevalley (11/02/1909-28/06/1984), grand mathématicien français, du groupe Bourbaki, qui apprit à jouer au Go lors d'un séjour à l'étranger il avait étudié en Allemagne, étudié et enseigné aux États-Unis, et séjourné au Japon). Il transmit son savoir à quelques élèves, dont Jacques Roubaud. Il est le seul joueur cité par les autres sources, et est décrit comme étant un joueur fort.

Les affluents
Certes François Le Lyonnais a écrit quelques lignes sur le Go dans un livre sur les échecs, mais Jacques Roubaud semble être le premier affluent sérieux.
Mathématicien, il est aussi un écrivain, poète. Coopté en 1966 par les membres du groupe OULIPO (OUvroir de LIttérature POtentielle), il publie en 1967 le livre E (appartient à) (livre aussi référencé sous le titre: Le Signe de l'appartenance, savante composition où l'auteur reconstruit une partie de Go grâce à des sonnets et diverses autres formes poétiques.
George Pérec (07/03/1936-03/03/1982) rejoint le groupe OULIPO en 1967. Nous ne savons pas s'il connaissait Roubaud auparavant, ou si c'est à ce moment qu'il contracte le virus...

RFG17


1969
Quoiqu'il en soit ces deux Pères Fondateurs s'associent à Pierre Lusson, un autre mathématicien (dont nous ignorons s'il fut aussi un élève du professeur Chevalley, ou simplement contaminé par Roubaud, avec qui il avait travaillé pour plusieurs publications mathématiques) et publient le Petit Traité invitant à la découverte de l'Art subtil du Go chez l'éditeur Christian Bourgois. C'est avec ce traité que commence l'histoire du Go français, mais il ne fait référence qu'au professeur Chevalley, les auteurs ne voyant pas l'intérêt de retracer leurs itinéraires personnels.
Pierre Berloquin : ce spécialiste des jeux, chroniqueur à Science et Vie, y publie un article sur le jeu de Go à propos de la sortie du Petit Traité... (c'est à ce moment que l'auteur de ces lignes a été contaminé, il n'y a pas de raison qu'il ait été le seul).

Luc Thanassecos est un libraire qui s'intéresse dès le début au Go. Sa boutique est le fameux Impensé Radical. Par chance pour le Go français, cette boutique est très bien située au cœur du Quartier Latin... Il décide de devenir le « monsieur Go » pour la France, il se lance dans l'importation de matériel et décore sa vitrine avec les exemplaires du Petit Traité...
Quelques temps après monsieur Lim Yoo Jong passe par là. Il n'était à l'époque connu qu'en tant que Coréen professeur de français venu parfaire ses études à la Sorbonne, mais se trouvait être un joueur de Go amateur de haut niveau dans son pays. Voyant la vitrine, il entre, pour savoir comment rencontrer les auteurs...

Feldmann

La décision de fonder le premier club français est prise, et affichée dans la vitrine à côté des livres ! C'est alors que passent, sur le chemin de leur pâtisserie préférée du moment, Denis Feldmann et Patrick Mérissert-Coffinières, deux normaliens à l'esprit curieux, qui avaient déjà eu un contact (malheureusement infructueux) avec le Go quand leur condisciple et ami Henri Cohen avait rapporté un jeu des États-Unis.
Les petits ruisseaux ont conflué. Les réactifs et le catalyseur sont en présence, la réaction en chaîne peut commencer: le 1er Juillet 1969, Alain Bossavit, Bernard Bureau, Bruno Deshayes, Denis Feldmann, Pierre Lusson, Patrick Mérissert-Coffinières et Jacques Roubaud fondent le Go Club Sakata dans l'arrière boutique de l'Impensé Radical.
L'arrière boutique devient trop petite pour tous ces joueurs, auxquels se sont joints Henri Cohen, Yves Langevin (normalien) et Renaud Danset (polytechnicien ami de Patrick MérissertCoffinières) : un premier déménagement les amène au Petit Suisse, abandonné assez rapidement pour le mythique Trait d'Union, rue de Rennes, endroit disponible le plus proche du domicile de celui qui est en train de devenir Maître Lim.
Le premier jeu fabriqué en France est accompagné de la parution d'un livre-règle (au format A3 !), avec partie commentée et problèmes : Le jeu de Go, par Sidonie Ladoucette, très probablement un pseudonyme; le secret de l'identité de l'auteur persiste à ce jour.

 

1970
Création de l'Association française de Go par les joueurs du Trait d'Union. 

AFGO

Pascal Reysset, ayant lu dans l'Express un article sur le Petit Traité. ..et le Club Sakata, est redirigé par Luc Thanassécos vers le Trait d'Union.

Reysset


Roger J. Girault a appris à jouer Outre-Mer, où il a fait toute sa carrière. Il semble avoir atteint un bon niveau. En s'inspirant de plusieurs ouvrages japonais, il écrit le Traité du Jeu de Go, édité par Luc Thanassecos en Novembre 1970. Ce sera son seul geste pour le Go métropolitain! Installé dans le sud de la France pour sa retraite, il éludera tout contact par la suite. Mais son livre restera pour des années le seul ouvrage un peu avancé « généraliste » de référence en langue française.

JP Lalo


Jean-Pierre Lalo, qui avait commencé à jouer sur un damier après avoir lu le Petit traité. ..puis acheté un vrai jeu et le « Girault », est lui aussi redirigé vers le Trait d'Union quand il vient demander des explications sur des discordances entre texte et diagrammes. Il devient immédiatement un adepte de la nouvelle secte.

1971
Premier championnat de France. 

  • 1er : Patrick Mérissert-Coffinières 
  • 2e : Yves Langevin

    1972
    On recense quatre clubs :
  • Paris, au Trait d'Union
  • Grenoble, animé par Jean-Maurice Bourgueil
  • Clermont-Ferrand, animé par monsieur Jacquelin
  • Marseille, animé par un avocat, Maître Alexander, et son ami Sauveur Padovano.


Le premier congrès français de Go à lieu à Paris. Championnat de France: le challenger malheureux est Denis Feldmann. Patrick Mérissert-Coffinières reste champion.

Thanassécos

1973
En février, naissance de GO revue, éditée par Luc Thanassécos, et écrite par les membres de l'Association française de Go. Cette belle idée fut malheureusement lancée sans étude de marché préalable, et le résultat fut une catastrophe: alors que l'abonnement promettait six revues par an, seulement deux numéros « sérieux » parurent, puis deux « numéros doubles » qui n'étaient que la reprise de brochures en langue Française de la Nihon Ki-in (distribuées gratuitement par l'AFG l'année précédente !). Nous n'avons pas pu mesurer précisément l'impact négatif « externe » sur les abonnés non licenciés, mais le fait que l'AFG était associée par ses articles nous valut plusieurs lettres de réclamation. L'impact négatif « interne », lui, fut très important, et fit rejeter systématiquement par les bureaux et assemblées générales ultérieures toute idée de reprise d'une activité éditoriale. La parution en 1979 de la Revue Française de Go en dehors de la Fédération est une séquelle de ce traumatisme.

Revue Française de go

Patrick Mérissert-Coffinières et Denis Feldmann contaminent les élèves des classes de Math-spé du lycée Louis-le-Grand où ils donnent des colles, et préparent ainsi la seconde génération de joueurs forts. Emmanuel Faye, Jérôme Hubert, André Moussa et Patrick Zemb.
Naissance du club de Rouen, créé par François Petitjean, Jean-François Alleton et Gérard Gabella.
Les clubs de province grognant un peu devant la confusion entre Association française de Go et joueurs parisiens, les trente-quatre joueurs fréquentant à l'époque le Trait d'Union fondent le premier club de Paris. président Denis Feldmann, secrétaire Luc Givry, trésorier Jean-Pierre Lalo.
Championnat de France: le challenger malheureux est Luc Givry. Patrick Mérissert-Coffinières reste champion.
Organisation du second congrès français, accompagné du premier tournoi international dans les locaux de l'école centrale à Chatenay Malabry

1974
À la demande de Maurice Réfrégier, qui fait paraître les deux ouvrages aux éditions Chiron, Hervé Dicky écrit un livre pour débutants, L'ABC du Go, et coécrit avec Maître Lim le fameux Jeu à neuf pierres de handicap. Maurice Réfrégier, qui restera pratiquement toujours dans l'ombre, est l'un des grands bienfaiteurs du Go français. Homme de presse, il a collaboré avec Pierre Lazaref au France-Soir de la grande époque ; puis il a administré le magazine Elle (c'est lui l'inventeur des « fiches cuisines » !), et a créé le magazine 01 informatique en 1966, avant même que les Américains ne lancent Computer world. Grâce à ses relations, il a suscité la parution de plusieurs livres en langue française et permis à maître Lim d'avoir un emploi officiel lorsque les finances du club de Paris ne lui ont plus permis de l'employer.
Championnat de France: le challenger malheureux est Denis Feldmann. Patrick MérissertCoffinières reste champion.

Championnat de France

 

1975
Championnat de France: le challenger malheureux est Renaud Danset. Patrick MérissertCoffinières reste champion.


1976
Patrick Mérissert-Coffinières remporte le championnat d'Europe, gagne un billet d'avion pour le Japon, est fasciné par le pays... et cesse de jouer !
Championnat de France: la disparition du titulaire ajoutée à la montée en puissance de la relève redistribue les cartes. André Moussa gagne devant Jérôme Hubert.

Moussa

1977
Championnat de France : le challenger malheureux est Jérôme Hubert. André Moussa reste champion.
La Fédération française de Go entre enfin dans la cour des grands! Elle se mobilise, sous la houlette de Thierry de la Marzelle son président (assisté par son hyperactif secrétaire Patrick Barril) pour préparer les événements dont la fédération européenne lui a confié la réalisation...

1978
...Le congrès Européen et le championnat d'Europe se passent à Paris, dans le cadre de la cité universitaire. À côté des professionnels japonais apparaît Nie Wei Ping, premier professionnel chinois à sortir de Chine.

Petit traité


Lors de l'assemblée générale de la FFG, la question d'une éventuelle revue revient sur le tapis, et est de nouveau rejetée. Mais cette fois suffisamment de bonnes volontés pensent que les temps ont changé... L'histoire moderne peut commencer.
Dans leur Petit Traité nos trois pères fondateurs écrivaient: « L'humble ambition de notre indigne et modeste ouvrage est de susciter les quelques vocations nécessaires pour amener notre pays à l'existence, du moins en GO. » Ils ont atteint leur but. Et tous ceux qui ont pu apprendre ce jeu, grâce à eux ou à leurs émules, les en remercient.


Jean-Pierre Lalo

Références :
Jacques Roubaud, George Pérec, Pierre Lusson Petit Traité invitant à la découverte de l'Art subtil du Go -Christian Bourgois Éditeur -1969
Roger J Girault Traité du Jeu de Go -I'Impensé Radical - 1970
GO Revue N°l (Février-Mars) N°2 (Avril-Mai) -l'Impensé Radical -1973
Hervé Dicky L'ABC du GO -Éditions Chiron -1974
Lim Yoo Jong et Hervé Dicky Les bases techniques du GO le jeu à neuf pierres de handicap Éditions Chiron -1974

Paris Meijin

Dernière mise à jour le 10/09/2016

Retour Go